La guerre ayant été déclarée dans les premiers jours d'avril, il entra immédiatement en campagne et se porta, avec vingt-cinq mille hommes de très belles troupes, sur la rive droite de la Meuse, près de Givet, ayant son avant-garde à quatre lieues de là, dans les bois au delà de Philippeville. Cette dernière position était mal choisie. Les Autrichiens, qui occupaient Mons avec des forces supérieures, tombèrent un matin à l'improviste sur ce corps de troupes, composé d'environ trois mille hommes, et le dispersèrent avant que le général eût eu le temps d'être informé de cet engagement.
Quelques jours après, La Fayette alla prendre une autre position dans le camp retranché de Maubeuge, ayant encore son avant-garde très loin de lui, dans les bois de Malplaquet et de la Glisuelle. Cette avant-garde fut encore surprise par le même corps autrichien, parti de Mons à la faveur de la nuit. Le bataillon des volontaires de la Côte-d'Or eut beaucoup à souffrir dans cette rencontre, qui coûta la vie au général Gouvion, aide de camp et ami dévoué de La Fayette. Le général survint, rétablit le combat et força l'ennemi à se replier en désordre sur la route de Mons. Mais ce faible avantage n'était guère propre à balancer l'influence fâcheuse que ces deux échecs, quoique peu considérables en eux-mêmes, pouvaient exercer sur le moral de l'armée au début d'une campagne.
Mieux avisé, La Fayette se retrancha à Tesnières sous Bavay dans l'intention d'y tenir en échec le général autrichien Clairfayt, lequel manœuvrait pour se réunir à l'armée ennemie, qui campait sous Tournai. Mais il fut aussitôt appelé au commandement de l'armée du Nord, en remplacement de Rochambeau, et porta son quartier général à Cerfontaine, à Longwy, puis à Sedan.
Il bat l'ennemi à Florennes. Voulant se porter de Metz sur Namur, il apprend à Dinant la défaite des deux corps de Dillon et de Biron, et se hâte d'opérer sa retraite.
Cependant, les événements de plus en plus graves de l'intérieur de la France attiraient toute l'attention de La Fayette. Élevé au prix de tant de sang et de sacrifices, l'édifice constitutionnel s'écroulait rapidement sous les coups redoublés des jacobins et des girondins. La Fayette présuma assez d'un reste de popularité pour espérer que l'exposition de ses idées sur cette alarmante situation pourrait produire un effet utile. Voyant que la vie du couple royal était, chaque jour, de plus en plus menacée, il s'oppose au parti jacobin, avec l'intention d'utiliser son armée pour rétablir une monarchie constitutionnelle.
Le 16 juin, il écrivit, de son camp de Maubeuge, une longue lettre à l'assemblée législative, où il dénonça avec énergie la faction jacobine comme l'instigatrice patente de tous les désordres dont les bons citoyens avaient à gémir. Il s'appliquait ensuite à prévenir toute inculpation personnelle en parlant noblement, de lui-même, de son intervention dans la guerre de l'Indépendance, de son zèle à défendre la liberté et la souveraineté des peuples et rappelait la Déclaration des droits, dont il avait été le promoteur. Il adjurait, en terminant, l'assemblée de rétablir l'égalité civile et la liberté religieuse sur leurs véritables bases ; de faire respecter l'intégrité du pouvoir royal, et d'anéantir le régime des organisateur des clubs et des sociétés secrètes. La lecture de cette lettre, dont La Fayette avait adressé une copie au roi, excita dans l'assemblée une vive rumeur.
Le côté droit seul y applaudit et en fit décréter l'impression. Les girondins, par l'organe de Vergniaud et de Guadet, s'efforcèrent d'alarmer leurs collègues sur les dangers que faisaient courir à la liberté de pareilles remontrances, adressées à une assemblée délibérante par un chef militaire, et affectèrent des doutes hypocrites sur l'authenticité de sa signature ; ils demandèrent que la lettre fût renvoyée à un comité, afin que l'assemblée pût venger le général du lâche qui avait osé se couvrir de son nom. Cette proposition fut adoptée, et quelques voix réclamèrent sans succès l'envoi de ce manifeste aux départements. Mais, peu de jours après, soixante-quinze administrations départementales adhérèrent formellement aux considérations développées par le général.
Cette lettre fut mal reçue de la majorité. La Fayette en apprit le mauvais effet en même temps que la journée du 20 juin. Il ne peut marcher sur Paris, son armée stationnée à Pont-sur-Sambre refuse de le suivre, notamment grâce à l’opposition de Gobert.
Lors de cette 20 juin 1792, autre Journée révolutionnaire, au Louvre, la Garde nationale est absente, laissant le peuple aborder le roi en tête à tête [45]
Plusieurs amis de La Fayette, et notamment Dupont de Nemours, lui mandèrent que cette journée avait produit dans le public un sentiment de réaction assez vif pour que sa présence à Paris pût lui imprimer une impulsion décisive. La Fayette n'hésita pas.
Malgré les avis timorés de Luckner, La Fayette quitta aussitôt son armée, et le 28 il était à la barre de l'Assemblée. Il avoua hautement la lettre qui avait été lue en son nom, et déclara qu'il avait été chargé, par tous les corps de son armée, d'improuver les insultes faites au roi et de demander la destruction de cette secte qui envahissait la souveraineté, et dont les projets étaient connus.
L'intrépide allocution de La Fayette fut accueillie avec enthousiasme par le côté droit, et par un morne silence dans le côté gauche.[En quittant l'assemblée, La Fayette se rendit chez le roi, qui l'accueillit avec bienveillance, mais avec réserve. Madame Elisabeth, présente à cette entrevue, conjura son frère de se jeter dans les bras du seul homme qui pût le sauver ; mais la reine, aigrie par de fâcheux souvenirs, s'était déjà prononcée contre toute tentative d'évasion à laquelle le général pourrait prendre part ; elle déclara qu'elle aimait mieux mourir que de lui devoir sa délivrance.[47] L'indécision de Louis XVI et la répugnance de la reine firent avorter ce projet, dont le succès eût été fort problématique d'ailleurs, dans l'état d'effervescence de l'opinion publique. À la suite d'une revue passée le lendemain, en présence du roi, et dans laquelle La Fayette essaya vainement de rendre quelque énergie aux citoyens, le général s'éloigna le désespoir dans le cœur. La multitude l'avait plusieurs fois salué de ses acclamations dans ce court séjour à Paris, et la garde nationale lui avait fourni un poste d'honneur. Il quitta Paris pour rejoindre son armée et fut brûlé en effigie dans les rues de Paris.
Ce furent les derniers soupirs de cette popularité qui avait pris naissance sur les ruines de la Bastille, pour s'éteindre dans les journées du 20 juin et du 10 août. Sa démarche n'avait rendu au pouvoir exécutif qu'une vigueur passagère ; le maire et le procureur de la commune furent suspendus pour leur conduite au 20 juin ; mais l'assemblée annula bientôt cette décision.
A son retour à l'armée, La Fayette voulut tenter un dernier effort ; il pensa qu'une victoire pourrait changer l'état des esprits, et fit proposer à Luckner, par le colonel Bureaux de Pusy, son ancien collègue et son ami, d'attaquer les Autrichiens à Jemmapes ; mais le maréchal s'y refusa formellement.[48]

Tandis que les jacobins lui suscitaient à l'armée mille tracasseries de détail, lui refusaient les renforts dont il avait besoin, interceptaient ou dénaturaient ses dépêches, circonscrivaient son commandement, et appelaient Luckner, exclusivement à lui, à la fédération du 14 juillet, ses ennemis, d'un autre côté, ne demeuraient point inactifs. Il s'écoulait peu de jours qu'il ne fût dénoncé à la barre de l'assemblée par quelque section de la capitale, comme un citoyen rebelle, comme un autre Cromwell, qui aspirait à substituer le despotisme militaire au régime légal et à renverser la constitution par la constitution elle-même. Ces dénonciations rencontrèrent d'imposants appuis dans les députes Vergniaud et Delaunay, qui prononcèrent l'un et l'autre de longs discours sur les dangers de la patrieCes vagues inculpations se compliquèrent d'un incident qui, plus adroitement combiné, eût pu devenir fatal à La Fayette.[ Cependant, dans la séance du 6 août, Jean Debry, organe de la commission à laquelle avait été déféré l'examen de la conduite du général, conclut à sa mise en accusation ; mais cette proposition, soutenue par Brissot, et combattue avec chaleur par Vincent-Marie Viénot de Vaublanc et de Quatremère de Quincy, fut repoussée à la majorité de 406 voix contre 224. Cette décision faillit coûter cher aux députés qui l'avaient provoquée. Au sortir de la séance ils furent assaillis, frappés, menacés de mort, et ne durent leur salut qu'à la protection de la garde nationale. Selon Hippolyte Taine: « Quant au principal défenseur de La Fayette, M. de Vaublanc, assailli trois fois, il eut la précaution de ne pas rentrer chez lui; mais des furieux investissent sa maison en criant que « quatre-vingt citoyens doivent périr de leur main, et lui le premier » ; douze hommes montent à son appartement, y fouillent partout recommencent la perquisition dans les maisons voisines, et, ne pouvant l'empoigner lui même, cherche sa famille; on l'avertit que s'il rentre à son domicile, il sera massacré Galiot Mandat de Grancey le remplace à la tête de la Garde nationale. Mais, le 10 août, il est massacré et La Fayette destitué et décrété d'accusation. À la nouvelle du 10 août 1792, le premier soin de La Fayette fut de se rendre au directoire du département des Ardennes, le corps constitué le plus rapproché de lui ; il lui déclara son refus de reconnaître le nouveau gouvernement, et une assemblée évidemment opprimée par la faction qui dominait à Paris.
Il adressa ensuite aux troupes une proclamation énergique, et tenta d'organiser, entre plusieurs départements de l'Est, une fédération dans l'objet de résister aux jacobins ; mais le duc de Brunswick ayant, en ce moment même, commencé son invasion en France, cette entreprise ne put avoir aucune suite, La Fayette se borna à faire arrêter trois commissaires envoyés à son armée par l'assemblée. Cette levée de boucliers eût pu déterminer une impulsion salutaire, si ses compagnons d'armes l'avaient secondé : mais Rochambeau s'était démis de son commandement, Luckner mollit; le général Biron, ami du duc d'Orléans, soutint les jacobins, et Dillon traita avec Dumouriez, au lieu de punir sa désobéissance aux ordres de Luckner, qui lui avait mandé de venir le joindre. Ces défections successives rendirent la situation de La Fayette fort critique.
Le 19 août 1792, il est déclaré traître à la nation. L'assemblée, dans sa séance du 19 août, l'avait décrété d'accusation, et le directoire de Sedan avait ordonné son arrestation. Il eut un moment la pensée d'aller se présenter en personne à ses accusateurs ; mais cette démarche lui parut aussi stérile que dangereuse. Réduit par l'infériorité et l'abandon de ses troupes à l'impuissance d'attaquer l'ennemi avec avantage, il songea à chercher un asile en pays étranger.
Après quelques précautions destinées à assurer le salut de son armée, il partit secrètement de Sedan, dans la nuit du 19 août, avec César de Latour-Maubourg, Alexandre de Lameth, Bureaux de Pusy et quelques autres officiers, et se dirigea vers la forêt des Ardennes, sous prétexte de faire une reconnaissance. Il voulut alors passer en pays neutre, obligé de se réfugier à Liège.
Bureaux de Pusy fut député à Rochefort pour demander le passage « en faveur d'officiers forcés de quitter l'armée française » ce qui fut accordé. Mais, à son entrée à Rochefort, La Fayette fut reconnu et contraint de se nommer. Informé de cette capture inespérée, le feld-maréchal autrichien Moitelle, qui commandait à Namur, y fit amener les fugitifs sous bonne escorte, et l'on prévint La Fayette que le prince Charles de Lorraine allait venir de Bruxelles pour le consulter sur l'état intérieur de la France Le général, Lameth, Latour-Maubourg et Bureaux de Pusy furent conduits au château de Luxembourg. Avant son départ, La Fayette dicta à Romeuf, son aide de camp, une déclaration destinée à être rendue publique dans le cas où il succomberait dans sa captivité : déclaration énergique et même menaçante pour les gouvernements absolus[
Captivité
Peu de jours après, les prisonniers furent remis par l'Autriche à la Prusse, et transféré dans la citadelle de Wezel, en dépit des interventions de sa femme et des États-Unis. La Fayette tomba dangereusement malade. [54]. Il fut transféré à Magdebourg, où il passa un an dans un appartement souterrain et humide, en butte à la surveillance la plus inhumaine, et réduit à recourir à un cure-dent trempé dans de la suie délayée pour correspondre secrètement avec quelques amis.
Transféré à Neisse, en Silésie, il y fut traité un peu moins rigoureusement. Enfin, au mois de mai 1795, par suite du traité de paix conclu entre la France et la Prusse, La Fayette, Bureaux de Pusy et Latour-Maubourg furent rendus aux Autrichiens et conduits dans la forteresse d'Olomouc en Moravie, où ils furent séparés et privés de toute communication avec le dehors, et où il subit toutes les tortures pendant cinq ans.[Tandis que La Fayette essuyait ainsi toutes les angoisses de la plus dure captivité, la faction qui dominait en France n'omettait aucune persécution propre à se venger d'une retraite qui avait dérobé sa tête à l'échafaud[
La Terreur en France
Madame de La Fayette, arrêtée dans sa terre au mois de septembre 1792 fut relâchée par l'ordre de Brissot, à qui elle s'était plainte de cet acte de rigueur, mais consignée dans son château de Chavaniac, puis incarcérée de nouveau en 1794 dans un premier temps à Brioude et transférée sur Paris (ordre du 27 mai 1794), et ne recouvra définitivement la liberté qu'au mois 21 janvier 1795, après avoir vu périr sur l'échafaud révolutionnaire la maréchale de Noailles, sa grand-mère, la duchesse d'Ayen, sa mère, et la vicomtesse de Noailles, sa sœur. Cette femme réussit, après mille difficultés, à aller jusqu'à Vienne, où elle obtint de partager, avec ses deux filles, la captivité de son mari, dans la forteresse d'Olmutz . Elle resta jusqu'à la libération de son mari malgré de très graves ennuis de santé.
Ce fut le premier adoucissement que le sort du général eût encore éprouvé. Mais il aggrava bientôt le poids de sa détention par une tentative infructueuse d'évasion entreprise au mois d'octobre 1794, de concert avec le docteur Boliemanu, et un jeune Américain nommé Huger, qui s'étaient dévoués à ses intérêts. La faculté de se promener autour de la citadelle lui fut impitoyablement retirée, ainsi qu'aux deux autres prisonniers. Le caractère de La Fayette ne se démentit point devant ces longues et pénibles épreuves. Une seule préoccupation domine dans tous les rapports qu'il put entretenir au dehors, celle du tort que pourront faire à la cause de la liberté les persécutions qu'il a souffertes au sein de sa patrie. Il s'applique dans ce but, avec une pieuse sollicitude, à atténuer ses propres griefs ; il ne veut pas que l'offense d'un obscur citoyen nuise au succès de tout un principe. Il conserve, sans ostentation, sans amertume, sous les verrous d'Olmutz, l'intrépidité de sa foi politique et de son dévouement aux intérêts de la liberté. Une circonstance douloureuse avait troublé cependant cette foi si bien affermie.
L'heure de la délivrance
Cependant l'heure de la délivrance approchait. La campagne de 1796 venait de s'accomplir, et les préliminaires de Léoben s'en étaient suivis. Napoléon Bonaparte et Clarke, traitant au nom de la république française, avaient insisté pour la mise en liberté des trois captifs comme une des conditions de la paix du traité de Campo-Formio (19 septembre 1797), à la condition qu'ils ne pourraient rentrer, quant à présent, sur le territoire français. Le Directoire lui interdit cependant de rentrer en France. Après cinq mois de pourparlers, La Fayette et ses deux compagnons de captivité furent libres, sous leur simple promesse de quitter dans douze jours les États de l'empereur. Arrivés à Hambourg, leur premier soin fut de remercier le général Bonaparte du miracle de leur résurrection.
La Fayette passa ensuite en Hollande, où il fut bien accueilli, et se fixa quelque temps à Utrecht, épiant avec impatience l'occasion de rentrer en France, où un parti puissant, ayant à sa tète l'ex constituant Sieyès, s'agitait en sa faveur. ; Ce fut là qu'il apprit le débarquement de Napoléon Bonaparte, au port de Fréjus, d'où sa marche à Paris n'avait été qu'une course triomphale. La Fayette écrivit à Bonaparte pour le complimenter sur son retour ; mais cette démarche, probablement intéressée, n'amena aucun résultat. Ses relations avec Napoléon sont complexes. Ainsi il lui exprime par écrit sa gratitude pour sa libération et il le félicite aussi lors de son retour d'Égypte Mais Napoléon, sans jamais l'avoir rencontré, lui est hostile et lui interdit de s'installer à Paris.

Enfin, en 1800, las du rôle de proscrit, le général manda au premier Consul que la prolongation de son exil ne convenait ni au gouvernement, ni à lui-même, et qu'il arrivait à Paris. Ce retour imprévu causa au chef de l'État une humeur qu'il ne put dissimuler. On remarqua l'affectation avec laquelle, dans l'éloge de Washington, que Fontanes prononça à cette époque par son ordre, l'orateur omit jusqu'au nom de son brillant auxiliaire. [60]
Cependant La Fayette se retira dans son château de Lagrange à Courpalay, (Seine-et-Marne), dans une propriété de sa femme qu'il avait héritée de sa belle-mère, et cet acte de prudence calma graduellement les dispositions ombrageuses du premier Consul.
La Fayette se lie d'amitié avec Joseph Bonaparte et dans un premier temps se voit accorder quelques faveurs. Il est rayé de la liste des émigrés, reçoit une retraite de 6 000 francs tandis que son fils, Georges Washington de La Fayette devient officier dans un régiment de hussards. Il obtint pour son fils un grade dans l'armée et pour lui le titre de membre du conseil général de la Haute-Loire, avec le maximum de la pension de retraite de son grade.
Finalement Napoléon et La Fayette se rencontrent, par l'intermédiaire de Lebrun, peu après la bataille de Marengo.[61] La Fayette refusa la dignité de sénateur qui lui fut offerte par Talleyrand et par Cabanis, en ajoutant que le lendemain de sa promotion il se verrait obligé de dénoncer le premier Consul et son administration. il refusa aussi la légation des États-Unis, se regardant, dit-il, comme trop Américain pour y jouer le rôle d'étranger.
Bien qu'un peu blessé de ces négations successives, le vainqueur de Marengo avait montré à La Fayette de l'ouverture et de la simplicité.[ Lors de la rotation du consulat à vie, La Fayette déclara qu'il ne l'approuverait pas tant que la liberté publique ne serait point garantie, et il développa cette opinion dans une lettre dont la franchise ne parut pas trop déplaire au maître de la France ; cependant, ce fut alors que les relations de ces deux hommes cessèrent entièrement. La rupture intervient en 1802 car La Fayette s'oppose au titre de consul à vie de Napoléon dans une lettre écrite le 20 mai.[La Fayette s'éleva avec énergie contre l'exécution du duc d'Enghien. La Fayette refuse, à plusieurs reprises, d'entrer au Sénat et ne cache pas son hostilité au régime.
L'Empire
L'avènement du premier Consul à l'empire fut pour l'austère démocrate le sujet d'une vie encore plus retirée. Il s'abstint de toute participation, même indirecte, aux affaires publiques.
En 1804, il vote contre le titre d'Empereur. À partir de cet instant La Fayette se tient à l'écart de la vie publique et s'adonne à l'agriculture et l'élevage dans son domaine briard.
A l'époque de l'institution de la Légion d'honneur, l'empereur lui fit proposer, par le comte de Ségur, son parent, d'être un des dignitaires de l'ordre ; mais La Fayette refusa ce cordon comme un ridicule, et l'on n'y revint plus. Son isolement finit par indisposer Napoléon, qui supportait difficilement toute position en dehors de son gouvernement ; et, lorsque, après la campagne d'Ulm, Georges de Lafayette, fils unique du général, qui servait comme lieutenant de hussards, fut proposé pour un grade supérieur, l'empereur lui-même repoussa cette promotion avec une persistance puérile.
Les splendeurs croissantes de l'empire achevèrent de condamner La Fayette à une obscurité absolue. Ses ennemis supposaient qu'il endurait cette situation avec peine ; aussi, une chute grave qu'il fit sur la glace, à cette époque, ayant excité quelque intérêt, on prétendit que le héros des deux mondes n'avait trouvé que ce moyen de faire parler de lui. On le sollicita vivement alors de visiter l'Amérique, ce théâtre de ses premiers exploits ; mais il s'en défendit par la crainte que le gouvernement impérial ne mît obstacle à son retour. Cette appréhension n'était pas sans fondement.
Napoléon, qui ne le perdait pas de vue, disait un jour au conseil d'État : « Tout le monde en France est corrigé, excepté La Fayette : vous le voyez tranquille, eh bien ! je vous dis, moi, qu'il est prêt à recommencer. »
Il se rallie aux Bourbons en 1814. Avec Fouché, il participe à la déchéance de l'Empereur.
Le général nous apprend lui-même, dans ses Mémoires, qu'il revit avec plaisir le régime pacificateur de la restauration, dont les princes, ses contemporains, avaient été ses compagnons d'enfance ou de jeunesse. Cédant à l'entraînement universel, il parut aux Tuileries avec l'uniforme d'officier général et la cocarde blanche, et il y fut bien accueilli.
Cette visite, toutefois, fut la seule qu'il rendit aux frères de Louis XVI ; l'esprit général du gouvernement, des attaques semi-officielles dirigées contre lui, ne tardèrent pas à réveiller ses anciens ressentiments, et il s'abstint de reparaître au château. Cette retraite fut une faute regrettable des Bourbons ; quelques égards sans conséquence eussent suffi pour rallier ou pour neutraliser celui qui devint bientôt leur plus implacable et leur plus dangereux adversaire. La Fayette eut à cette époque plusieurs conférences avec l'empereur de Russie, et ce souverain libéral d'un État despotique se plaignit ouvertement à lui du peu de libéralisme de cette dynastie que la mauvaise foi, bien plus que l'erreur, lui a si souvent reproché d'avoir imposée à la France.
Malgré la défaveur personnelle que la famille royale inspirait à La Fayette, il vit avec effroi, au mois de mars 1815, le retour de Napoléon, qui remettait en question cette paix européenne achetée au prix de tant de sacrifices. Quelques royalistes étant venus lui demander si le gouvernement des Bourbons pouvait, dans la ligne de ses opinions, compter sur son dévouement, il répondit oui sans hésiter : ne doutant pas, dit-il, qu'à la faveur d'une opposition bien dirigée, on ne pût tirer meilleur parti de Louis XVIII que de celui qu'il regardait depuis longtemps comme le plus redoutable ennemi de la liberté.
Dans une réunion à laquelle il fut appelé, chez Laine, pour débattre le parti le plus convenable aux circonstances, il proposa sérieusement de mettre le duc d'Orléans à la tête des troupes, et de réunir tous les membres survivants des assemblées nationales depuis 1789, afin d'opposer une grande force morale à la puissance matérielle de Bonaparte. Cette opinion, comme on pense, demeura sans écho.
La Fayette demeura trois jours à Paris, comme pour faire parade de sécurité personnelle, puis il alla s'ensevelir, dans son château de la Grange. Napoléon était rentré aux Tuileries sans coup férir. Un républicain moins austère et moins désintéressé que La Fayette, Benjamin Constant, qu'avait récemment signalé l'ardeur de son hostilité contre le régime impérial, venait d'accepter le titre de conseiller d'État.[
La fin du Premier Empire
Cependant il promit de concourir à repousser les étrangers et les Bourbons, en mettant à ses services la même condition qu'il avait imposée aux Bourbons eux-mêmes, à savoir : la réunion d'une chambre de représentants librement convoquée et largement élue.
Il est incité à revenir sur le devant de la scène politique ; appelé à la présidence du collège électoral de Seine-et-Marne, puis à la députation de ce département lors des Cent-Jours. Il vit se rouvrir pour lui, après vingt-trois ans d'interruption, la carrière parlementaire, dans les conjonctures les plus favorables à ses théories d'opposition et de démocratie.
Un concours imposant de suffrages l'éleva à la vice-présidence de la chambre des représentants, et il fit partie, en cette qualité, de la députation chargée de recevoir Napoléon au palais de la chambre, lorsqu'il vint en personne ouvrir sa courte session.[65] La Fayette ne prit pour ainsi dire aucune part aux débats de la chambre des Cent-Jours. : il semblait se réserver tout entier pour de plus hautes circonstances. La bataille de Waterloo éclata comme un coup de foudre sur la capitale et sur la France entière.
Napoléon reparut, et mille bruits de dissolution et de dictature militaire agitèrent les esprits. Ce fut alors que La Fayette monta à la tribune (21 juin) pour élever, dit-il : après bien des années, une voix que reconnaîtraient les vrais amis de la liberté. Cette énergique motion, qui fut accueillie, n'était pas moins intempestive qu'inconstitutionnelle. La Fayette n'était, en cette occasion, que l'instrument d'une intrigue habilement ourdie par Fouché, qui, désespérant du succès de ses vœux secrets en faveur du duc d'Orléans, acceptait la branche aînée des Bourbons comme un pis-aller.
Napoléon consentit avec peine à laisser aller ses ministres à la chambre, et leur adjoignit Lucien Bonaparte, qui défendit avec beaucoup de véhémence les intérêts de son frère.. Cet orateur ayant, dans la chaleur de l'improvisation, parlé de la légèreté des Français, La Fayette répondit que cette imputation était calomnieuse, et que si la nation n'avait pas suivi Napoléon dans les sables d'Égypte, dans les déserts de la Russie, et sur cinquante champs de bataille, le pays n'aurait pas trois millions de Français à regretter. Le lendemain matin, il fit prévenir l'empereur que, s'il ne se décidait pas à abdiquer, lui-même allait proposer sa déchéance. Napoléon abdiqua, les chambres proclamèrent Napoléon II, et la commission de gouvernement, sur la proposition de Fouché qui la présidait, députa aux souverains alliés des plénipotentiaires chargés d'arrêter leur marche sur Paris, et de traiter de la paix au nom de la France.
La Fayette et Voyer d'Argenson faisaient partie de cette députation dont l'objet apparent était de détourner les puissances étrangères du projet de rétablir les Bourbons sur le trône de France. Mais cette frivole ambassade n'avait pas d'autre but, en réalité, que d'amuser l'impatience du parti révolutionnaire, et d'éloigner un agitateur propre à contrarier les projets de restauration auxquels Fouché s'était dévoué. Les plénipotentiaires se dirigèrent sur Manheim, puis sur Haguenau ; mais ils ne purent être admis auprès de l'empereur Alexandre de Russie, dont La Fayette sollicita vainement une audience, et leurs négociations se bornèrent à quelques conférences sans résultats avec des commissaires désignés par ce prince et par les autres souverains coalisés. Ce fut dans l'un de ces pourparlers que le commissaire anglais ayant fait entendre que la France n'obtiendrait la paix qu'en livrant Napoléon aux puissances coalisées [67] Napoléon, abattu, inspira à cette grande âme la sympathie que La Fayette avait refusée constamment à sa haute fortune. Il fit offrir à son ancien libérateur les moyens d'assurer son passage aux États-Unis ; mais l'ex-empereur, qui garda jusqu'au tombeau le souvenir de sa dernière agression, préféra se confier à la générosité britannique.
La deuxième restauration
Le retour des Bourbons, ne put être vu avec faveur par celui qui venait de les repousser. La mission d'Haguënau avait brisé sans retour les faibles rapports qui s'étaient établis durant la première Restauration entre la cour et La Fayette. Il était trop compromis pour n'être pas irréconciliable.
Le général passa dans une retraite absolue les trois premières années de la restauration de 1815, période d'incriminations et de violences, où la ferveur outrée de la réaction royaliste eût difficilement permis une position politique à l'ancien promoteur de la Déclaration des droits. Au mois de novembre 1818, le collège électoral de la Sarthe l'envoya à la chambre, et il vint prendre, à l'extrême gauche, la place qu'il ne cessa plus d'occuper jusqu'à la révolution de 1830.
Il vota contre la proposition Barthélémy, qui tendait à modifier la loi électorale de 1817 et se montra, dès le début, pénétré des mêmes doctrines qu'il avait professés toute sa vie. Plein de l'idée que le gouvernement des Bourbons marchait, tantôt ouvertement, tantôt par des voies détournées, à la destruction des libertés dont leur retour avait doté la France, on le vit toujours au premier rang des adversaires du pouvoir, harcelant les ministres de ses énergiques provocations, luttant sans cesse contre le fantôme insaisissable de la contre-révolution, encourageant sans relâche, du haut de la tribune, les peuples voisins à la résistance contre les prétendus oppresseurs de leurs droits.
Ses principaux discours furent ceux qu'il prononça, en sur la pétition pour le rappel des bannis et sur le budget de cette année ; en 1820, pour solliciter la réorganisation de la garde nationale, sur le maintien de la loi d'élection, sur les projets de loi relatifs à la liberté individuelle, à la censure et aux élections.[68] Les révolutions espagnole et napolitaine, auxquelles ses encouragements n'avaient eu que trop départ, venaient d'échouer par suite des mesures prises de concert entre les souverains alliés. Cette impuissance jointe au ressentiment de plus en plus vif du général contre les hommes et le système de la restauration, explique la résolution qui le précipita dans les complots. Lui-même, dans un sentiment de droiture, avait pris soin de déclarer à la tribune qu'il se regardait comme délié de ses serments par les violations qu'avait, selon lui, éprouvées la charte constitutionnelle.
Chez lui, la foi monarchique était essentiellement subordonnée au respect du gouvernement pour les droits du peuple, entendus dans leur acception, la plus illimitée. Tout acte en dehors de ce cercle redoutable lui semblait une espèce de sacrilège auquel il ne se faisait aucun scrupule de répondre par l'insurrection. Le temps n'a soulevé que lentement le voile qui couvrait ces associations mystérieuses, et La Fayette lui-même s'est montré fort discret, dans ses Mémoires, sur la mesure exacte de sa participation.
La première conspiration dans laquelle son nom se trouva mêlé d'une manière sérieuse fut le complot militaire d'août 1820, où plusieurs déclarations le désignèrent comme un des chefs du mouvement. Ces révélations parurent insuffisantes, toutefois, pour autoriser une action légale. Dans le procès intenté au mois de mars à Goyet et à Sauquaire-Souligné, prévenus d'attentat contre la sûreté de l'État, La Fayette parut comme témoin, et le ministère public n'hésita point à attribuer aux encouragements consignés dans ses lettres, qui furent produites à l'audience, le dangereux entraînement qui avait placé les prévenus sous la main de la justice. L'une de ces lettres, adressée aux jeunes gens du Mans, offrait alors les caractères d'une provocation à la révolte. Vertement interpelé à cette occasion par le président de la cour d'assises, La Fayette répondit fièrement qu'il persistait dans des opinions dont il n'était responsable qu'à la chambre des députés.
L'échec de ces premiers complots contre la restauration inspira bientôt à l'esprit de faction l'établissement de sociétés secrètes permanentes, destinées à stimuler et à régulariser ces tentatives, à les lier entre elles, et à marquer les temps et les lieux où les conjurés pourraient agir efficacement. La Fayette entra dans la plus importante de ces associations et en devint bientôt le membre le plus influent par l'illustration attachée à son passé politique, par la facilité de son accès, par sa docilité à répondre à toutes les propositions insurrectionnelles et à encourager tous les complots.[Prodigue en effet d'encouragements et d'espérances, le vétéran de l'insurrection ne s'engageait dans aucune entreprise avant d'en avoir calculé avec soin les ressources et les moyens d'action[70], et, il n'y participait qu'après avoir pris toutes les précautions propres, en cas d'échec, à garantir sa sécurité personnelle. Il abandonnait aux conspirateurs subalternes le lot de l'agression et du péril, ne s'exposant qu'avec une extrême prudence aux atteintes d'un gouvernement dénué de vigueur et d'initiative, et dont la politique ménageait secrètement dans La Fayette un principe de résistance et de contrepoids aux ardeurs des ultra-royalistes.
Ce fut sous les auspices de la charbonnerie auquel il adhère en 1821 que se forma, dans la ville de Belfort, un vaste complot dont les conjurés fixèrent l'exécution aux premiers jours de 1822. Le général devait quitter Paris pour se mettre à leur tête. Des circonstances particulières le portèrent à différer son départ de vingt-quatre heures. C'est à ce retard qu'il dut de n'être pas surpris en flagrant délit de conspiration. Avertis, à peu de distance de la ville de Lure, de l'avortement du complot, le général et son fils purent changer immédiatement de route, descendre la vallée de la Saône et se rendre à Gray, d'où ils regagnèrent précipitamment Paris. Leur voiture, qui pouvait servir de témoignage de leur présence, fut enlevée par les soins de MM. Kœchlin, qui la firent transporter au delà du Rhin, où on la réduisit en cendres. Demeuré disponible pour d'autres complots, La Fayette fut bientôt signalé par des déclarations précises comme l'un des instigateurs du mouvement séditieux entrepris sur Saumur par le général Berton dans le mois de février 1822, et qui avait échoué par la trahison du sous-officier Woelfel. Un magistrat ardent, mais probe, le procureur général Mangin, touché de la concordance de ces témoignages, ne craignit pas de les reproduire dans son acte d'accusation. Il présenta comme établis les rapports de La Fayette avec les principaux conjurés, et enveloppa dans la même inculpation plusieurs députés de l'opposition, entre autres le général Foy, Voyer d'Argenson et Benjamin Constant. Cet énergique manifeste souleva (1er août) une tempête violente au sein de la chambre.
Le général Foy désavoua, avec une chaleur probablement sincère, la complicité qui lui était attribuée, et soutint que de elles infamies étaient l'œuvre du ministère. La Fayette monta à la tribune au milieu du tumulte, et fit entendre quelques paroles qu'on peut considérer comme la provocation la plus audacieuse peut-être dont ait jamais retenti une assemblée délibérante[ On a généralement supposé que cette provocation s'adressait à Louis XVIII lui- même, et qu'elle avait trait à quelque particularité peu connue de la conduite de ce prince envers le marquis de Favras. Quoi qu'il en soit, pour trancher cet éclatant défi, il fallait à La Fayette une conscience bien profonde de la puissance de ses révélations ou de la faiblesse du gouvernement qu'il accablait ainsi du sentiment de son impunité.
Rien n'était plus véritable, en effet, que la complicité du général avec les conjurés de Saumur. C'est dans l'hôtel même de La Fayette, et en sa présence, que deux d'entre eux Grandmenil et Baudrillet, avaient formé le plan et concerté les principales dispositions du complot. Ces circonstances avaient été révélées à la justice par Baudrillet ; mais une inqualifiable omission en avait fait évanouir l'importance.[72] On se figure aisément les proportions qu'un tel évènement eût données aux débats et les révélations dont il fût devenu la source. La préoccupation de la chambre lui déroba cet incident, qui n'a été divulgué que bien des années plus tard.[73]
Lorsqu'un mois après, les débats du procès de Berton eurent lieu devant la cour d'assises de Poitiers, M. Mangin soutint avec force ses premières affirmations, et fit entendre ces paroles, qui ne caractérisaient que trop fidèlement les rapports de La Fayette avec les conjurés : Le complot de Berton fut le dernier auquel se trouva mêlé le nom de La Fayette, et les ventes du carbonarisme prirent fin elles-mêmes en 1823.
Lors de l'expulsion de Manuel, il fut du nombre des soixante-quatre députés qui protestèrent contre cet acte de violence parlementaire. Dans une réunion de députés de l'opposition qui eut lieu à cette époque, il alla jusqu'à proposer de déclarer nettement par une proclamation au peuple, que l'impôt avait cessé d'être obligatoire depuis cette violation de la charte ; mais cet avis extrême fut unanimement repoussé. L'issue favorable de la guerre d'Espagne de 1823 avait imprimé aux esprits une forte impulsion monarchique, et cette disposition générale, secondée par les efforts actifs du ministère, écarta de la chambre des députés la plupart des chefs de l'opposition. Réélu député en novembre 1822, à Meaux, La Fayette ne fut pas réélu et est battu aux élections de 1823.
Le voyage en Amérique
Il profita de cette inaction forcée pour accomplir un vœu cher à son cœur : celui de revoir l'Amérique, ce théâtre de sa gloire la première et la plus pure, et de visiter ce peuple qu'il avait aidé si puissamment dans la conquête de son indépendance. Cette entreprise, contrariée dix-huit ans auparavant, était un implicite hommage à la tolérance du régime dont La Fayette n'avait cessé de conspirer le renversement. Informé de son désir, le congrès américain l'invita avec empressement à le réaliser, et mit à sa disposition un vaisseau de l'État. Il retourne en Amérique pour une tournée triomphale dans 182 villes de juillet 1824 à septembre 1825.
Mais le général partit du Havre en juin 1824, accompagné de son fils et d'un secrétaire, sur un simple bâtiment de commerce. Il débarqua le 16 août dans la baie de New-York, où sa réception présenta un caractère d'universalité et d'entraînement inouï peut-être jusqu'à ce jour chez aucun peuple. Une escadre de neuf vaisseaux à vapeur, élégamment pavoises et montés par plus de six mille citoyens de tout âge, de tout sexe et de toute condition, était en station dans le port. Le vice-président de la république et l'ancien gouverneur de New-Jersey vinrent le recevoir à son bord. La Fayette se rendit au milieu d'un cortège imposant, au bruit des salves d'artillerie et d'acclamations multipliées, à l'hôtel de ville, où il fut complimenté par tous les ordres de l'État.
Les portes de cet édifice furent ouvertes, et la personne du général fut, pour ainsi dire, livrée pendant plus de deux heures à l'adoration d'une multitude en délire. Un banquet nombreux, les toasts les plus flatteurs, de brillantes illuminations, terminèrent cette première journée triomphale. La Fayette visita successivement les États de New-York, du Massachusetts, de New-Hampshire, de Pennsylvanie, de Baltimore, de Virginie, du Maryland, de Caroline du Nord et de Caroline du Sud, de la Géorgie, d'Alabama, s'arrêta à Boston, à Portsmouth ?, à Newburg, à Hudson, à Albany, à Philadelphie, à Baltimore ; et partout il fut accueilli avec les mêmes transports d'enthousiasme, partout des hommages extraordinaires furent décernés à l'hôte de la nation. Les populations rurales, dit M. Levasseur, historien de ce voyage, accouraient de plus de vingt milles à la ronde au-devant de lui. À Washington, siège du congrès, La Fayette fut reçu par le président Monroe, qui lui donna un dîner splendide, auquel assistèrent tous les ministres étrangers, excepté ceux de France, d'Angleterre et de Russie.
Il visita avec attendrissement et vénération, à Mount Vernon, le tombeau de Washington, ainsi que la maison et le jardin de ce grand citoyen, descendit le Potomac, et s'arrêta à Yorktown, théâtre d'une des actions les plus mémorables de la guerre de l'Indépendance. Le colonel Lewis, qui le harangua à son débarquement dans cette ville, l'engagea d'une manière pressante à fixer son séjour en AmériqueLe général fit une courte excursion parmi les tribus indiennes à demi sauvages d'Uchee-Cruk et de Line-Cruk, qui l'accueillirent avec une touchante cordialité. La Fayette visita Fayetteville, Charlestown, Savannah, où il posa la première pierre d'un monument à la mémoire du général Greene ; puis, remontant le Mississipi, il parcourut la Nouvelle-Orléans, dont l'ancienne population française lui témoigna un vif empressement.
Il fut présenté le 10 décembre aux deux chambres du congrès par leurs présidents, qui lui adressèrent des félicitations. Enfin, le 20 décembre, le congrès adopta à l'unanimité un bill par lequel une somme de deux cent mille dollars, avec la propriété d'un terrain de vingt-quatre mille acres dans la partie la plus fertile de la contrée, fut offerte au général en récompense de ses services et en indemnité des dépenses qu'il avait faites dans la guerre de l'Indépendance. Il reçoit du peuple américain 200 000 dollars et 12 000 ha en Floride. L'université Princeton lui décerne à cette occasion un doctorat honoris causa, attribué en 1790.
La Fayette eut le déplaisir de ne retrouver qu'un bien petit nombre des officiers qui avaient combattu avec lui pour la liberté américaine ; mais on lui présenta plusieurs des miliciens qui avaient servi sous ses ordres, et il les revit avec un touchant intérêt.
Son séjour en Amérique se prolongea pendant quatorze mois, qui ne furent qu'une marche à peine interrompue dans les vingt-quatre États de l'Union, et une succession continuelle d'honneurs, de fêtes et de louanges auxquels il répondit constamment avec modestie et cordialité.
Chargé par la famille de Washington d'envoyer le portrait de son illustre chef à Bolivar, il y joignit une lettre flatteuse pour le libérateur de la Colombie, qui répondit que Washington donné par La Fayette était la plus sublime des récompenses que pût ambitionner un homme. En remontant, l'Ohio, à la suite d'une tournée dans les provinces du sud-ouest, le bateau à vapeur qui portait le général toucha sur un écueil et coula bas, à cent vingt-cinq milles environ de Louisville, où il se rendait ; mais cet accident n'eut aucun effet sérieux, et le général avec sa suite fut immédiatement reçu à bord d'un autre bâtiment, sur lequel il acheva sa traversée par Cincinnati, Pittsburg, Utica, Boston et New-York. Après avoir séjourné de nouveau pendant quelques semaines à Washington, chez le nouveau président, M. Adams, La Fayette se mit en devoir de retourner en France. Le 7 septembre 1825, il reçut les adieux des ministres, de tous les chefs civils et militaires de l'État, et d'une foule de citoyens réunis dans l'hôtel du président de la république. Organe de cette imposante assemblée, ce magistrat, dans un discours étendu, récapitula la vie de La Fayette, rappela son dévouement à la cause américaine, et la fermeté sans déviation avec laquelle, pendant quarante ans, il avait soutenu, au milieu des succès et des revers, la cause glorieuse de la liberté. Le général répondit par une éclatante glorification de l'Amérique républicaine ; il exhorta les États à la concorde et à l'union, se sépara pour la dernière fois de ce sol, et, après une heureuse traversée sur la frégate la Brandywine, il prit terre au Havre le 5 octobre 1825. L'aspect politique de la France s'était favorablement modifié pendant son absence.
La Fayette profita aussi de son séjour aux USA pour plaider la cause de la Grèce insurgée contre l'Empire ottoman. Avec d'autres philhellènes, il chercha à pousser les USA à intervenir dans la guerre d'indépendance grecque[76].
Charles X [modifier]


