Conte du canton de Maringues, en Limagne
Dans son grand château tout noir, perché sur un sommet, vivait jadis la comtesse Brayère, avec des domestiques et des gardes. La dame adorait les enfants,... à la broche, au four, en fricassée. Oui, c’était une ogresse. Elle en mangeait tous les jours, si bien que ses soldats n’arrivaient plus à fournir le cuisinier.
Des enfants, on n’en trouvait plus guère dans la contrée, déjà dévorés, ou enfuis avec leur famille. La comtesse se désolait, elle avait toujours faim. Le cuisinier était marié.
Il possédait un fils, un tout-petit, que sa femme cachait avec soin. Hélas, un jour, l’enfant s’échappa, déboula dans le corridor, juste au moment où la comtesse passait. La dame s’exclama, les domestiques attrapèrent l’enfant, qu’ils conduisirent aux cuisines.
- Fils ou pas, déclara la comtesse, je le mangerai ce soir même. Préparez-le à votre guise.
Le cuisinier était blanc comme neige, sa femme pleurait... La dame s’en alla, et l’heure vint où il fallut s’occuper de son repas. Cuisinier ou pas, un père est un père. Et le père ne put se résoudre à tuer son enfant. À la place, il fit cuire un morceau de veau, si bien préparé, si bien farci, agrémenté d’une sauce si fine, que la comtesse se régala comme jamais.
À la fin du repas, cependant, comme la noble dame félicitait son cuisinier, celui-ci ne put se retenir, il tomba à genoux, avoua sa faute.
D’abord interdite, la dame éclata de rire, peut-être pour cacher une gêne qu’elle éprouvait pour la première fois.
Toujours est-il, d’après ce qu’on dit, qu’elle cessa de manger les enfants, à compter de ce jour, et se dévoua aux pauvres et aux déshérités.
Comme quoi, il ne faut jamais désespérer de rien.
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