Ernesto Rafael Guevara de la Serna, plus connu sous le nom de Che Guevara ou Le Che (prononcé communément ʃɛ̃ɡɛ̃vara en français et θəɡəvara en castillan argentin[1]), né le 14 juin 1928 à Rosario, Argentine et exécuté le 9 octobre 1967 à La Higuera (Bolivie), est un révolutionnaire marxiste et homme politique d'Amérique latine, dirigeant de la guérilla internationaliste cubaine.
Alors qu'il est jeune étudiant en médecine, Guevara voyage à travers l'Amérique latine, ce qui le met en contact direct avec la pauvreté, dans laquelle beaucoup de gens vivent alors. Son expérience et ses observations pendant ces voyages l'amènent à la conclusion que les inégalités socio-économiques peuvent seulement être changées par la révolution, ce qui le pousse à intensifier son étude du marxisme et à voyager au Guatemala afin d'apprendre des réformes entreprises par le président Jacobo Arbenz Guzmán, renversé quelques mois plus tard par un coup d’État appuyé par la CIA.
Peu après, Guevara rejoint le mouvement du 26 juillet, un groupe révolutionnaire dirigé par Fidel Castro. Après plus de deux ans de guérilla où Guevara devient commandant, ce groupe prend le pouvoir à Cuba en renversant le dictateur Fulgencio Batista en 1959. Dans les mois qui suivent, Guevara est désigné procureur d'un tribunal révolutionnaire qui exécute plus d'une centaine de policiers et militaires du régime précédent jugés coupables de crimes de guerre, puis créé des camps de travail. Il occupe ensuite plusieurs postes importants dans le gouvernement cubain, échouant en partie dans l'industrialisation du pays en tant que ministre. Guevara écrit pendant ce temps plusieurs ouvrages théoriques sur la révolution et la guérilla. En 1965, il quitte Cuba avec l'intention d'étendre la révolution au Congo-Léopoldville, sans succès, puis en Bolivie où il est capturé et exécuté sommairement par l'armée bolivienne entraînée et guidée par la CIA
Après sa mort, Che Guevara est devenu une icône pour les mouvements révolutionnaires marxistes du monde entier. Une photo de lui par Alberto Korda est considérée comme une des plus célèbres au monde[]
Ernesto Guevara de la Serna naît le 14 juin 1928 à Rosario, Argentine, de Ernesto Guevara Lynch et Celia de La Serna, tous deux d'ascendance basque, irlandaise et espagnole. Beaucoup d'éléments indiquent cependant que sa date de naissance officielle ait été reculée d'un mois pour éviter un scandale, car trop proche du mariage[6].
Ses parents font partie d'une aristocratie souvent désargentée penchant vers des idées de gauche non autoritariste, s'opposant notamment à Perón et à Hitler. La tante d'Ernesto, qui a élevé sa mère à la mort prématurée de leurs parents, est communiste.
Ernesto Guevara, vers 1945, 17 ans
Aîné de 5 enfants, il vit d'abord à Córdoba, la seconde ville du pays. Dès l'âge de trois ans, il apprend le jeu d'échecs auprès de son père et commence à participer à des tournois dès 12 ans. Sa mère lui enseigne le français qu'il parlera couramment
Ernesto Guevara de la Serna se fait rapidement connaître pour ses opinions radicales même à un âge pourtant précoce. Il admire Francisco Pizarro et voudrait être un de ses soldats[9].
Toute sa vie, il subit de violentes crises d’asthme, qui l'accablent dès l'enfance. Il affronte cette maladie et travaille afin de devenir un athlète accompli. Malgré l'opposition de son père, il devient joueur de rugby. Il gagne alors le surnom de « fuser », (une contraction de furibundo (« furibond ») et du nom de famille de sa mère, « Serna ») à cause de son style de jeu agressif[10].
Durant son adolescence, il met à profit les périodes de repos forcés de ses crises d'asthme pour étudier la poésie et la littérature, depuis Pablo Neruda en passant par Jack London, Emilio Salgari et Jules Verne, jusqu'à des essais sur la sexualité de Sigmund Freud ou des traités sur la philosophie sociale de Bertrand Russell. Il écrit des poèmes (parfois parodiques) tout au long de sa vie comme cela est courant chez les Latino-Américains de son éducation. Il développe également un grand intérêt pour la photographie.
En 1948, il entreprend des études de médecine à Buenos Aires. Durant cette période, il songe à se marier avec une fille de la haute société argentine et à s'établir, mais il ne peut mener ce projet à bien à cause de l'opposition de la famille de cette dernière, de sa propre personnalité déjà jugée anticonformiste, et de son désir grandissant de voyages et de découvertes.
Une arrivée désastreuse
fait alors partie des 82 hommes (un des quatre non-Cubains de l'expédition) qui partent avec Castro en novembre 1956 pour Cuba, sur un petit yacht appelé Granma. Ils sont attaqués juste après leur débarquement par l'armée de Batista qui a eu vent de l'expédition. Le chiffre exact n'est pas connu mais il est certain que pas plus d'une vingtaine d'hommes survivent à l'expédition, les autres étant soit tués au combat, soit exécutés sommairement.
Le Che écrira plus tard que pendant cette confrontation il dut abandonner son sac d'équipement médical pour ramasser une caisse de munition abandonnée par un de ses compagnons en fuite. Plus tard il se rappellera que ce moment aura été la marque de sa transition de médecin à combattant
Sierra Maestra, un début difficile
Les rebelles survivants se regroupent et fuient dans les montagnes de la Sierra Maestra pour lancer une guérilla contre le régime de Batista. Là, ils sont soutenus par les paysans locaux (guajiros ou montunos) qui souffrent d'abord du régime de Batista, et puis de la répression politique lancée contre la guérilla et ses partisans réels ou supposés qui les affectent directement. Che Guevara agit comme médecin et combattant, en dépit de nombreuses crises d'asthme dues au climat. Le Che souligne l'importance de se faire accepter par la population en fournissant des soins dans les villages isolés ou en alphabétisant les nouvelles recrues au cœur de la jungle.
Leurs forces (en armes et en recrues) augmentent avec le soutien logistique de la partie urbaine du mouvement de 26 juillet (non communiste, le partido socialista popular cubain n'aide Castro qu'à partir du moment où ils sont certains de sa victoire, mi-1958) et des États-Unis (qui voient en Castro une bonne alternative au régime corrompu de Batista et auxquels Castro a dissimulé ses objectifs communistes). L'existence de deux parties dans le mouvement sera très importante dans le futur et créera de nombreuses tensions. Les dirigeants urbains les plus importants étaient Frank País, Vilma Espín, Celia Sánchez, Faustino Pérez, Carlos Franqui, Haydee Santa María, Armando Hart, René Ramos Latour (Daniel), majoritairement démocrates et anticommunistes.
Guevara se montre très strict face aux actes d'indiscipline, de trahison et les crimes, pas seulement pour sa propre troupe mais aussi envers les soldats ennemis et les paysans qui habitent la zone. Cette partie de sa personnalité est mise en évidence le 17 février 1957, quand les guerillos découvrent que l'un d'entre eux, Eutimio Guerra, est un traître qui avait donné la localisation du groupe, ce qui avait permis à l'armée régulière de bombarder leur position sur le pic de Caracas et ensuite de les embusquer sur les hauteurs de Espinosas, mettant les rebelles au bord de la déroute. Fidel Castro décida donc qu'il soit fusillé pour trahison, mais sans indiquer qui devait l'exécuter. Devant l'indécision générale qui s'ensuivit, ce fut le Che qui l'exécuta sommairement, démontrant une froideur et une dureté face aux crimes en période de guerre qui le rendirent célèbre Entre 1957 et 1958, on estime que 15 personnes accusées de trahison ou d'espionnage furent exécutées sur ordre de Guevara Au contraire, Guevara paraît tolérant face aux erreurs involontaires de ses propres troupes et face aux prisonniers ennemis. De nombreuses fois il intervient auprès de Fidel Castro pour éviter des exécutions Il soigne lui-même les soldats ennemis et interdit formellement la torture ou l'exécution des prisonniers, qu'il protège avec la même vigueur qu'il a à châtier les traîtres
Carte détaillée de la Sierra Maestra. Le rectangle indique la zone contrôlée par la guérilla au début de la révolution cubaine.
Durant les premiers mois de 1957 le petit groupe de guérilleros se maintient de manière précaire, avec un appui rare de la population locale. Il est poursuivi par un réseau de paysans-espions (chivatos), par les troupes du gouvernement et doit de plus lutter contre les infiltrations et améliorer la discipline militaire. Il y a une succession de petits combats et d'escarmouches avec peu de pertes de part et d'autre Fin février paraît dans le New York Times, le journal le plus lu des États-Unis, une interview de Fidel Castro réalisée par Herbert Matthews dans la Sierra Maestra. L'impact est énorme et commence à générer une grande sympathie envers les guérilleros dans l'opinion publique nationale et internationale. Le 28 avril c'est une conférence de presse au sommet du pico Turquino, la montagne la plus haute de Cuba, pour CBS.
Fin mai, l'effectif des guérilleros augmente, atteignant 128 combattants bien armés et entraînés. Le 28 mai se produit une première action d'ampleur, l'attaque de la caserne de El Uvero où meurent 6 guérilleros et 14 soldats avec une grande quantité de blessés des deux côtés. Après le combat, Fidel Castro prend la décision de laisser la charge des blessés à Che Guevara pour ne pas ralentir le groupe principal devant la poursuite des troupes gouvernementales. Guevara s'occupe alors des blessés des deux camps et parvient à un accord sur l'honneur avec le médecin de la caserne afin de laisser sur place les blessés les plus graves à la condition qu'ils soient emprisonnés de manière respectable, pacte que l'armée gouvernementale aura respecté
Le Che et quatre hommes (Joel Iglesias, Alejandro Oñate («Cantinflas»), «Vilo» et un guide) doivent alors cacher, protéger et soigner sept guérilleros blessés pendant cinquante jours. Dans ce laps de temps, Guevara non seulement les aura tous soignés et protégés, mais aura de plus maintenu la discipline du groupe, recruté neuf autres guérilleros, obtenu le soutien décisif du régisseur d'une grande propriété rurale de la région et établi un système d'approvisionnement et de communication avec Santiago de Cuba. Quand il rejoint le reste des troupes le 17 juillet, le Che est à la tête d'un groupe autonome de 26 hommes. Les rebelles tiennent alors un petit territoire à l'ouest du Pico Turquino avec 200 hommes disciplinés et un bon moral. Fidel Castro décide alors de former une deuxième colonne de 75 hommes, qu'il appellera ensuite quatrième colonne pour tromper l'ennemi sur la quantité de ses troupes. Il promeut Che Guevara au grade de capitaine, puis cinq jours après le désigne commandant de cette colonne. Avant cela seul Fidel Castro avait le grade de commandant. À partir de ce moment, les guérilleros doivent l'appeler « Comandante Che Guevara »[28].
Commandant de la quatrième colonne [modifier]
La colonne contient alors quatre pelotons dirigés par Juan Almeida, Ramiro Valdés, Ciro Redondo et Lalo Sardiñas comme commandant en second. Peu après vient Camilo Cienfuegos en remplacement de Sardinas qui a tué accidentellement un de ses hommes en le menaçant, dont l'exécution a été votée par les guérilléros à une étroite majorité, mais qui a été épargné et dégradé par Guevara. Une étroite amitié naîtra entre Cienfuegos et le Che.
Guevara se distingue en intégrant dans ses troupes de nombreux guajiros (paysans de l'île) et Afro-cubains, qui constituent alors la catégorie de population la plus marginalisée du pays, à une époque ou le racisme et la ségrégation raciale sont encore répandus y compris dans les propres rangs du mouvement du 26 juillet (en 1958, l'accès au parc central de Santa Clara était interdit aux personnes à la peau noire) Il baptise les nouvelles recrues qui intègrent sa colonne « descamisados » (sans chemises), reprenant l'expression qu'Eva Perón utilisait pour s'adresser aux travailleurs argentins, aussi péjorativement appelés « cabecitas negras » (têtes noires). Une de ces recrues, Enrique Acevedo, un adolescent de quinze ans que Guevara nommera chef de la commission disciplinaire de la colonne, aura plus tard écrit ses impressions de l'époque dans un journal :
Che Guevara dans la Sierra Maestra avec son chien « Hombrito », 1958.
« Tous le traitent avec grand respect. Il est dur, sec, parfois ironique avec certains. Ses manières sont douces. Quand il donne un ordre on voit qu'il commande vraiment. Il s'accomplit dans l'action »
La quatrième colonne réussit, grâce à quelques victoires (Bueycito, El Hombrito), à prendre contrôle de la zone de El Hombrito pour y établir une base permanente. Ses membres y construisent un hôpital de campagne, une boulangerie, une cordonnerie et une armurerie afin d'avoir une infrastructure d'appui. Le Che lance le journal El Cubano Libre.
Une des fonctions de la colonne du Che est de détecter et éliminer les espions et les infiltrés ainsi que maintenir l'ordre dans la région, exécutant les bandits qui profitent de la situation pour assassiner, piller et violer, en se faisant souvent passer pour des guérilléros. La stricte discipline dans la colonne fait que de nombreux guérilléros demandent leur transfert sur d'autres colonnes bien qu'en même temps le comportement juste et égalitaire de Guevara, la formation qu'il accorde à ses hommes, depuis l'alphabétisation jusqu'à la littérature politique complète, en fait un groupe fortement solidaire.
Les troupes du gouvernement dirigées par Ángel Sánchez Mosquera mènent une politique de guerre sale dans la région. Le 29 novembre 1957 ils attaquent les guérilléros causant deux morts, parmi eux Ciro Redondo. Le Che est blessé (au pied) de même que Cantinflas et cinq autres combattants. La base est complètement détruite et la colonne se repositionne dans un lieu appelé la mesa pour en construire une nouvelle. Elle crée la radio clandestine Radio Rebelde en février 1958. Radio Rebelde diffuse alors des informations pour la population cubaine mais sert aussi de lien entre les différentes colonnes réparties sur l'île Radio rebelde existe toujours aujourd'hui à Cuba.
Début 1958, Fidel Castro est devenu l'homme le plus sollicité par la presse internationale et des dizaines de journalistes du monde entier viennent à la Sierra Maestra pour l'interviewer. De son côté Che Guevara est devenu, pour la presse qui défend Batista, le personnage central de la guérilla. Evelio Lafferte, un lieutenant de l'armée cubaine fait prisonnier, et qui ensuite est passé guérilléro dans la colonne du Che, se souvient :
« La propagande contre lui (Guevara) était massive ; on disait que c'était un tueur à gages, un criminel pathologique..., un mercenaire qui prêtait ses services au communisme international... Qu'ils utilisaient des méthodes terroristes, qu'ils socialisaient les femmes qui quittaient alors leurs enfants... Ils disaient que les soldats faits prisonniers par les guérilléros étaient attachés à un arbre et se faisaient ouvrir le ventre à la baïonnette. »
En février, l'armée rafle 23 militants du mouvement du 26 juillet et les fusille sur les premiers contreforts de la Sierra Maestra, pour simuler une victoire contre la guérilla. Cet évènement est un scandale pour le gouvernement de Batista. Le 16, la guérilla castriste attaque la caserne de Pino del Agua avec des pertes des deux côtés. Peu après arrive le journaliste argentin Jorge Ricardo Masetti de tendance péroniste, qui sera un des fondateurs de l'agence de presse cubaine Prensa Latina et l'organisateur à Salta (Argentine) en 1963 de la première tentative de guérilla de Che Guevara hors de Cuba Le Che entre en conflit avec les dirigeants de la partie urbaine du mouvement du 26 juillet. Ceux-ci le considèrent comme un marxiste extrémiste avec trop d'influence sur Fidel Castro, et lui les considère de droite, avec une conception timide de la lutte et une disposition trop complaisante envers les États-Unis. Soviétophile convaincu il écrira en 1957 à son ami René Ramos Latour: « J'appartiens, de par ma formation idéologique, à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l'on appelle le rideau de fer ». Il s'affirmait également volontiers admirateur du défunt Staline: « Celui qui n'a pas lu les quatorze tomes des écrits de Staline ne peut pas se considérer comme tout à fait communiste. »
L'offensive de Batista et la création de la huitième colonne
Le 27 février 1958, Fidel Castro amplifie les opérations de guérilla en créant trois nouvelles colonnes dirigées par Juan Almeida, son frère Raúl Castro et Camilo Cienfuegos, qui deviennent commandants. Almeida doit agir dans la zone orientale de la Sierra Maestra, Raúl Castro doit ouvrir un deuxième front et s'installer dans la Sierra Cristal, au nord de Santiago de Cuba. En avril Camilo Cienfuegos est désigné chef militaire de la zone entre les villes de Bayamo, Manzanillo et Las Tunas, alors que Castro établit son quartier-général à La Plata.
Le 3 mai a lieu une réunion clef du mouvement du 26 juillet où Fidel Castro et la guérilla de la Sierra prennent le commandement sur la partie urbaine plus modérée. Che Guevara, qui eut un rôle important dans cette réorganisation, écrit un article en 1964 sur ces faits :
« Le plus important est que se jugeaient et s'analysaient deux conceptions qui s'affrontaient depuis le début de la guerre. La conception de la guérilla sortit triomphante de l'affrontement, consolidant le prestige et l'autorité de Fidel... Il apparut une seule capacité dirigeante, celle de la Sierra, et concrètement un seul dirigeant, un commandant en chef, Fidel Castro»
Le Commandant Camilo Cienfuegos.
À ce moment, l'armée de Batista, sous les ordres du général Eulogio Cantillo prépare une offensive. Fidel Castro demande alors à Che Guevara de laisser la quatrième colonne et de prendre en charge l'école militaire de Minas del Frío pour l'entraînement des recrues. Le Che reçoit l'ordre de bon gré mal gré mais organise fébrilement cette arrière-garde, construisant même une piste d'atterrissage près de La Plata. Camilo Cienfuegos lui écrit à cette époque : « Che, mon frère d'âme : J'ai reçu ta note, je vois que Fidel t'a mis à la tête de l'école militaire, j'en suis heureux car de cette manière nous aurons dans le futur des soldats de première qualité, quand ils m'ont dit que tu venais "nous faire cadeau de ta présence", ça ne m'a pas plu beaucoup, tu as joué un rôle principal dans ce domaine; si nous avons besoin de toi dans cette étape insurrectionnelle, Cuba aura encore davantage besoin de toi quand la guerre se terminera, donc le géant à bien fait de prendre soin de toi. J'aimerais beaucoup être toujours à tes côtés, tu a été mon chef pendant longtemps et tu le seras toujours. Grâce à toi j'ai l'opportunité d'être maintenant plus utile, je ferai l'indicible pour ne pas te déshonorer. Ton éternel pote. Camilo»
À Minas del Frío il partagea la vie de Zoila Rodríguez García, une guajira qui vivait dans la Sierra Maestra et qui collaborait activement avec la guérilla comme toute sa famille. Dans un témoignage postérieur, Zoila raconte le genre de relation qu'ils eurent: « Il apparu en moi un amour très grand et très beau, je me compromis avec lui, pas seulement comme combattante mais aussi comme femme. Un jour, il me demanda de lui amener un livre de son sac à dos ; il avait des lettres dorées et je lui demandais si elles étaient d'or. La question lui plut, il rit et me répondit : "C'est un livre sur le communisme". Ça me donna de la peine de lui demander ce que voulait dire "communisme", parce que je n'avais jamais entendu ce mot[41]. »
Le 6 mai commence l'offensive de l'armée qui compte 10 000 hommes, dont deux tiers de conscrits. Le plan était de déloger avec des bombardements massifs au napalm et à l'explosif les guérilléros qui comptaient 280 hommes et quelques femmes, pour ensuite les encercler dans une nasse de plus en plus étroite. Pendant les premières semaines les forces gouvernementales sont presque au point de défaire la guérilla, qui subit de grandes pertes et la désorganisation de ses filières, alors qu'augmentent le sentiment de défaite et les désertions. De son côté, Che Guevara organise une nouvelle colonne (la « huitième » et baptisé Ciro Redondo en hommage à un de ses lieutenants mort au combat l'année précédente) avec les recrues de l'école de Minas del frio. Quand le 26 juin, Raúl Castro séquestre de sa propre initiative 49 américains, le Che critique sa conduite comme « un extrémisme dangereux » Cependant les troupes gouvernementales sont incapables de capturer les guérilléros qui se cachent en permanence et reprennent l'offensive. Le 20 juillet, ils obtiennent leur première grande victoire à Jigüe et le même jour la majorité des forces de l'opposition reconnaît Fidel Castro comme commandant en chef. Le 28, la colonne du Che assiège les troupes du gouvernement à Las Vegas, qui fuient alors, abandonnant leur poste. Le 30 meurt au combat René Ramos Latour, principal adversaire du Che au sein du mouvement, ce dernier écrit néanmoins dans son journal : « De profondes divergences idéologiques me séparaient de René Ramos et nous étions ennemis politiques, mais il a su mourir en accomplissant son devoir, en première ligne, et il est mort ainsi parce qu'il a senti une impulsion intérieure que je lui niais, et qu'à cette heure je dois rectifier »
Le 7 août 1958, l'armée commence son retrait en masse de la Sierra Maestra. La faiblesse de Batista se fait évidente et Fidel Castro décide alors d'étendre la guerre au reste de l'île. Che Guevara et Camilo Cienfuegos doivent marcher vers le nord pour diviser Cuba en deux et attaquer la ville stratégique de Santa Clara, clef pour la route vers La Havane.
Maquis de l'Escambray, bataille de Santa Clara et prise du pouvoir
Monument de Che Guevara (avec son bras en écharpe) à Santa Clara, où se trouve sa tombe.
Le 31 août 1958 les colonnes de Che Guevara et Camilo Cienfuegos partent à pied vers l'ouest de Cuba. Ils mettent 6 semaines à arriver dans la zone de l'Escambray, dans la province de Las Villas, au centre de l'île, traversant 600 km de zone marécageuse, poursuivis par les avions et les patrouilles du gouvernement.
Guevara installe son campement sur un relief inaccessible culminant à 630m[44]. Il créé une nouvelle école militaire pour accueillir les nouvelles recrues, ainsi qu'une centrale hydro-électrique, un hôpital de campagne, des ateliers et un journal El Miliciano.
Dans la zone agissent d'autres forces de guérilla, comme le « Segundo Frente Nacional del Escambray » dirigé par l'espagnol Eloy Gutiérrez Menoyo, le « Directorio Revolucionario », le « Partido Socialista Popular » (communiste) ainsi que les forces locales du mouvement du 26 juillet dirigé par Enrique Oltuski. En général ces forces se querellent entre elles et l'unification est impossible. À ce moment, le Che rencontre Aleida March, une militante active du mouvement du 26 juillet anticommuniste, qui deviendra son épouse et avec qui il aura quatre enfants.
Le 3 novembre Batista réalise des élections afin d'atténuer l'opposition généralisée et construire une sortie électorale qui isolerait la guérilla. Ceux-ci et les groupes de l'opposition demandent le boycott des élections qui n'ont qu'une faible participation, délégitimant le candidat élu, Andrés Rivero Agüero.
À Las Villas le Che Guevara termine de donner forme à la huitième colonne, plaçant aux postes clefs des hommes de confiance, la plupart originaire de milieux modestes. Il y a les hommes de son escorte, Juan Alberto Castellanos, Hermes Peña, Carlos Coello (« Tuma »), Leonardo Tamayo (« Urbano ») et Harry Villegas (« Pombo »). Il y a aussi des soldats qui feront partie de son cercle le plus intime, comme Joel Iglesias, Roberto Rodríguez (« el Vaquerito »), Juan Vitalio Acuna (« Vilo »), Orlando Pantoja (« Olo »), Eliseo Reyes, Manuel Hernández Osorio, Jesús Suárez Gayol (« el Rubio »), Orlando Borrego. Beaucoup de ces hommes composent le célèbre commando suicide dirigé par «El Vaquerito», comprenant seulement des volontaires et chargé des missions les plus difficiles[45].
Fin novembre les troupes du gouvernement attaquent la position de Che Guevara et de Camilo Cienfuegos. Les combats durent une semaine, à la fin duquel l'armée de Batista se retire en désordre et avec beaucoup de pertes en hommes et en matériel. Les guérilléros contre-attaquent, suivant une stratégie d'isolement des garnisons du gouvernement, dynamitant les routes et ponts ferroviaires. Les jours suivants les régiments gouvernementaux capitulent un par un : Fomento, Guayos, Cabaiguán (où le Che se fracture le coude), Placetas, Sancti Spíritus.
Ensuite la colonne de Cienfuegos va prendre Yaguajay, dans une bataille importante qui dure du 21 au 31 décembre, pendant que Guevara s'empare de Remedios et du port de Caibarién le 26 et la caserne de Camajuaní le jour suivant, où les troupes du gouvernement fuient sans combattre.
Le Che à la bataille de Santa Clara, 1958.
Le chemin est alors libre pour attaquer Santa Clara, quatrième ville de Cuba et ultime bastion du gouvernement avant La Havane. Batista fortifie la ville et envoie 2 000 soldats et un train blindé sous les ordres de l'officier le plus compétent à sa disposition, le colonel Joaquín Casillas. Au total les troupes gouvernementales ont 3 500 soldats pour combattre 350 guérilléros. Le 28 décembre commence l'attaque qui fut sanglante (Santa Clara est bombardé par l'aviation de Batista[46]) et dure trois jours dans toute la ville. Durant les combats meurt un des hommes les plus emblématiques de la huitième colonne Roberto Rodríguez, «el Vaquerito». Guevara a établi que la cible prioritaire de la bataille est le train blindé, qui fut pris le 29 au soir.
Ce fait d'armes fut une victoire décisive qui entraîna directement la chute de Batista Apprenant la nouvelle et que ses généraux négocient une paix séparée avec les dirigeants, le dictateur prend la décision de fuir en République dominicaine quelques heures après, accompagné de sa famille, de quelques fonctionnaires, avec parmi eux le président Andrés Rivero Agüero et son frère qui était maire de La Havane.
Les forces rebelles triomphantes dans toute l'île entreprennent de fusiller les criminels de guerre après des jugements sommaires. À Santa Clara le Che donna l'ordre de fusiller entre autres le chef de la police, Cornelio Rojas. Le colonel Joaquín Casillas, qui avait été condamné en 1948 pour l'assassinat d'un syndicaliste Jesús Menéndez et ensuite laissé en liberté, fut détenu et mourut dans des circonstances troubles. La version officielle indique que Casillas fut tué alors qu'il essayait de s'échapper, mais il est aussi possible qu'il fut exécuté sur ordre du Che[48].
Le pays est alors paralysé par une grève générale demandée par Fidel Castro. Suivant ses ordres, les colonnes de Che Guevara et Camilo Cienfuegos à la tête de leurs guérilléros (dits Barbudos) se dirigent alors vers La Havane pour occuper les casernes de Columbia et la forteresse de la Cabaña les 2 et 3 janvier.
Gouvernement révolutionnaire
Le 2 janvier, Che Guevara est nommé par Fidel Castro commandant et « procureur suprême » de la prison de la forteresse de la Cabaña Pendant les 5 mois à ce poste il supervise les jugements expéditifs se déroulant dans une ambiance survoltée parfois organisée en spectacle à grand public. Il signe les exécutions de centaines de personnes (de 156 à 550 personnes selon les sources. Les accusés sont pour la plupart lié au régime démocratique d'avant 1952 ou celui de Batista depuis son putch de 1952 : policiers, militaires, hommes politiques ou personnes influentes, accusées à tort ou à raison d'avoir contribué à la répression à laquelle le régime de Batista s'était livré avec une intensité croissante face à la montée des guérillas entre 1952 et 1958. Le nombre total de morts aux combats ou par la répression s'éleverait à au plus 1 700 pour toute la période du régime post-démocratique de Batista (de 1952 à 1958), y compris dans les rangs des forces gouvernementales elles-mêmes, mais la presse de l'époque reprit sans vérification le chiffre fantaisiste de 20 000 victimes du régime qui circulait et dont les hommes de presse cubains de l'époque reconnaissent avec le recul qu'il était en réalité hors de proportion. Selon certains témoignages de magistrats, de nombreux accusés étaient en réalité condamnés avant leur procès publics par des décisions occultes transmises à Ernesto Guevara en provenance de Fidel Castro. Cette épurarion extermina notamment les quelques membres du « bureau de la répression des activités communistes », une petite unité de contre-espionnage qui eut recourt à la torture et à l'assassinat dans sa lutte contre les réseaux liés au KGB alors même que les membres du vieux parti communiste PSP vivaient paisiblement et ses journaux soutenaient officiellement Batista qui avait fait légaliser le PSP en août 1938 en contrepartie d'une renonciation à la violence et à la collaboration avec l'URSS, avant de céder aux USA en l'interdisant à nouvau en novembre 1953 mais sans pour autant en inquiéter les membres ni interdire la plupart de ses organes et journaux. Seuls les militaires et policiers sont condamnés à mort, les civils étant conduits devant un autre tribunal[55].
Selon un procureur qui travaillait avec Guevara pour ces accusations, les procédures étaient illégales car « les faits étaient jugés sans aucune considération pour les principes judiciaires généraux », « les éléments présentés par l'officier investigateur étaient considérés comme des preuves irréfutables », « il y avait des membres de familles de victimes du régime précédent parmi les jurés » et « Che Guevara était aussi président de la cour d'appel » À l'inverse les médias, mêmes américains, soulignent que chaque accusé a droit à une défense équitable, à un avocat et des témoins, et que les procès sont publics. Malgré tout l'aumônier de la prison affirme que des dizaines d'innocents ont été exécutés. Ces exécutions inquiètent beaucoup les démocrates à Cuba et aux États-Unis.
Le président Manuel Urrutia Lleó avec Che Guevara et Camilo Cienfuegos, 1959.
Le 7 février 1959 le nouveau gouvernement proclame Che Guevara « citoyen cubain de naissance » en reconnaissance de son rôle dans le triomphe des forces révolutionnaires. Le 22 mai 1959 le divorce avec Hilda Gadea (avec laquelle il s'est séparé avant même son départ pour Cuba) est prononcé, ce qui lui permet de régulariser sa situation avec Aleida March, une cubaine du mouvement du 26 juillet, qu'il a rencontrée dans la province de Las Villas en 1958 et qu'il épouse le 2 juin de la même année.
Fidel Castro modifie la constitution du pays pour permettre à un étranger s'étant particulièrement illustré durant la guérilla et ayant reçu le grade de Commandant de pouvoir être membre du gouvernement. Cette modification ne concerne que l'Argentin Guevara.
Le 7 octobre, Che Guevara assisté de son second Nathanael Bennoit, devient un des dirigeants de l'institut national de la réforme agraire. Il devient également président de la banque nationale de Cuba le 26 novembre. Ce dernier poste était un peu ironique, car le Che condamne l'argent et rêve de son abolition[réf. nécessaire]. La signature sur les billets de banque ne portera d’ailleurs que son surnom « Che »[60].
Dès cette année 1959, il aide à organiser des expéditions révolutionnaires à Panama et en République dominicaine, expéditions qui échoueront toutes[61],[62].
À cette époque renaît son goût pour les échecs. Il participe à la plupart des tournois ayant lieu à Cuba tout en promouvant ce jeu Il visite Tokyo en juin 1959 pour évaluer la réforme agraire radicale effectuée par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Il note à cette occasion que la réforme agraire cubaine offre plus de propriétés privées et un meilleur taux de compensation que la réforme ayant eu lieu au Japon[65]. Malgré ces propos, Cuba voit la plupart de ses activités nationalisées et les libertés individuelles restreintes. De nombreux démocrates sont emprisonnés. Le régime devient de plus en plus autoritaire, en partie pour appliquer ses réformes communistes, mais aussi en réaction aux pressions américaines et d'une invasion qui semble inévitable au gouvernement cubain[66]. Après avoir négocié un accord commercial avec l'Union soviétique en 1960, Che Guevara représente Cuba dans de nombreuses délégations auprès de pays du bloc communiste ou du mouvement des non-alignés en Afrique et en Asie suite à l'imposition de restrictions commerciales. Ces restrictions se transforment en un embargo des États-Unis contre Cuba en 1962 qui est toujours en application en 2007.
En 1960 Guevara fait partie des premiers secours aux victimes de l'explosion de la Coubre, un navire rempli d'armes à destination du gouvernement
Source:Wikipedia