La petite éplucheuse de pomme de terre.
Albert Anker.1886
L’Assemblée générale des Nations unies proclame 2008 Année de la pomme de terre. La démarche initiée a pour vocation d’attirer l’attention sur le rôle vital que peut jouer cette denrée dans la lutte contre la malnutrition et la pauvreté.
Nourrir la planète, tel est le défi que va tenter de relever l’ONU. La désignation d’une Année internationale consacrée à la pomme de terre peut paraître loufoque de prime abord. Pourtant, cette démarche peut être salutaire. La communauté internationale dresse un bilan alarmant : dans les vingt prochaines années, la population mondiale devrait croître de plus de 100 millions d’habitants par an dont 95 % dans les pays en développement où la pression sur la terre et l’eau est déjà très forte. Pour pallier ces contraintes naturelles, l’Assemblée générale des Nations unies a choisi de mettre en exergue la contribution de ce tubercule, indispensable à la sécurité alimentaire de millions de personnes vivant dans un monde en développement.
Un potentiel productif élevé
Les chiffres sont éloquents. La culture vivrière de la pomme de terre est foisonnante. En terme de quantités récoltées, elle se classe derrière le maïs, le blé et le riz, avec une production de plus de 323 millions de tonnes en 2005. La valeur totale de cette culture avoisine les 27 milliards d’euros. La croissance de la production de pommes de terre est exponentielle, augmentant en moyenne de 4,5 % par an. Si la consommation du produit a reculé en Europe, dans les pays en développement, particulièrement en Asie, elle augmente, passant de 10 kg par an et par personne dans les années 60 à 22 kg en 2003. Dans la patate, tout est bon… ou presque. Elle est comestible à 85 %, contre 50 % pour les céréales. Riche en glucides, elle possède la plus haute teneur en protéine, environ 2,1 % en poids frais. De surcroît, la pomme de terre est parfaitement adaptée aux besoins nutritifs de l’homme.
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La pomme de terre ou patate (langage familier, québécisme et français régional) est un tubercule produit par l'espèce Solanum tuberosum, appartenant à la famille des Solanacées. Il s'agit d'un des légumes les plus consommés dans les Amériques et en Europe. Outre ses vertus alimentaires, la pomme de terre est largement utilisée dans l'industrie, sa fécule ayant de multiples destinations.
Pomme de terre (expression figée qui constitue un nom composé) désigne aussi la plante elle-même. Il semble que l'appellation pomme de terre ait été utilisée pour la première fois en 1762 par le botaniste Henri Louis Duhamel du Monceau[].
Seuls les habitants des Andes péruviennes connaissaient la pomme de terre, appelée papa en quechua. Ils la cultivaient près de 1000 ans avant J.-C. La première description connue date de 1533, que l'on doit à Pedro de Cieza de León dans sa Chronique du Pérou. Introduite en Espagne en 1534, elle est cultivée par des moines de Séville en 1573 pour nourrir des personnes malades, également sous le nom de papa. En deux siècles, la pomme de terre va conquérir l'Europe : d'abord en Espagne où elle prendra le nom de patata (sous l’influence de batata, patate douce[] et le mot papa ayant vraisemblablement entraîné une confusion avec le mot Papa désignant le Pape[]), puis l'Italie taratouffli (petite truffe), l'Irlande potato, l'Allemagne puis la France. Elle est introduite en France vers 1540 et cultivée à Saint-Alban-d'Ay (il s'agissait là de la variété dite « Truffole »). Elle est figurée pour la première fois par Gaspard Bauhin dans Pinax Theatri Botanici de 1596.
Elle est décrite en 1600 par Olivier de Serres, qui la nomme cartoufle (à relier à l'allemand Kartoffel) et déclare à son sujet : « Cet arbuste dit cartoufle porte fruict de mesme nom, semblable a truffes. » Tandis qu'en Italie, Allemagne, Pologne et Russie on mangeait déjà la pomme de terre, en France elle ne fut utilisée que pour nourrir le bétail pendant plus de deux siècles. Les Anglais avaient de leur côté découvert le tubercule en 1586, au retour d'une campagne contre les Espagnols dans l'actuelle Colombie. Propagée aussi bien par les Anglais que par les Espagnols, la pomme de terre gagne le reste de l'Europe, et les nombreuses disettes du XVIIIe siècle vont encourager sa consommation par les Européens, l'Allemagne figurant au rang des précurseurs.
Concernant la France, en 1757 elle fut cultivée en Bretagne, alors en période de disette, dans la région de Rennes par Louis René de Caradeuc de La Chalotais, bientôt suivi dans le Léon par monseigneur de la Marche, surnommé « l'évêque des patates » (eskob ar patatez). Jean-François Mustel, agronome rouennais (auteur d’un Mémoire sur les pommes de terre et sur le pain économique), encourage sa culture en Normandie : en 1766 on cultive la pomme de terre à Alençon, à Lisieux et dans la baie du Mont Saint-Michel[]. Mais c'est surtout Antoine Parmentier, de retour d'un séjour en captivité en Prusse, qui fait la promotion de la pomme de terre comme aliment humain et réussit à développer son usage dans toutes les couches de la société française. Il avait été capturé par les Prussiens pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763) et avait découvert à cette occasion la pomme de terre, principale nourriture fournie aux prisonniers. À la suite d'une terrible disette survenue en 1769, l'académie de Besançon lance en 1771 un concours sur le thème suivant : « Indiquez les végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette à ceux que l'on emploie communément à la nourriture des hommes, et quelle en devrait être la préparation. » Parmentier remporte le premier prix, devant d'autres concurrents qui avaient eux aussi rédigé un mémoire sur la pomme de terre, preuve que l'usage de ce tubercule était vraiment à l'ordre du jour. Plus d'un siècle avant Parmentier, grâce à Jean Bauhin (1541-1612) et frère de Gaspard Bauhin, directeur des "Grands-Jardin" de Montbéliard, la patate était consommée pour pallier la famine qui sévissait dans le Comté de Montbéliard indépendant et devenu français en 1793.
Par la suite, Parmentier réussit à obtenir l'appui des autorités pour inciter la population à consommer des pommes de terre. Il fait notamment usage d'un stratagème resté célèbre : il fait monter une garde (légère) autour d'un champ de pommes de terre, donnant ainsi l'impression aux riverains qu'il s'agit d'une culture rare et chère, destinée au seul usage des nobles. Certains volent des tubercules, les cuisinent et les apprécient. Le roi Louis XVI le félicite en ces termes : La France vous remerciera un jour d'avoir inventé le pain des pauvres. Leur emploi dans la cuisine populaire se développe alors très rapidement.
À la fin du XVIIIe siècle, 45 km² étaient consacrés en France à la culture de la pomme de terre. Un siècle plus tard, en 1892, cette surface était passée à 14 500 km², chiffre considérable dont il faut cependant souligner qu'il a nettement baissé par la suite. Actuellement, la production de pommes de terre n'occupe plus que 1 800 km², d'une part parce que la consommation humaine a fortement diminué, de l'autre parce que la consommation animale a disparu. Dans le monde, la production annuelle est d'environ 300 millions de tonnes, pour une surface cultivée supérieure à 200 000 km². Peu avant la Révolution, l'agronome Jean Chanorier développe cette culture sur ses terres de Croissy-sur-Seine.
Au XIXe siècle, la pomme de terre était devenue l'aliment prédominant chez les Irlandais. L'épidémie de mildiou dans les années 1840 est à l'origine d'une grande famine et d'une importante émigration vers les États-Unis et le Canada.