5 octobre 2007 5 05 /10 /octobre /2007 20:03

Les veillées.

Ceux qui n'avaient plus l'âge de la danse, ou qui ne l'avaient pas encore, s'adonnaient au plaisir de la parole. Aux veillées ils tendaient l'oreille, ou racontaient des histoires qui généralement prenaient appui dans la vie quotidienne des auditeurs. Même les contes, que nous appelons de Perrault, se passaient au pays : dans le château du Puy de Murat ou dans celui de Rochefort ou bien dans des villages disparus, disait-on, depuis peu. On évoquait le cheval blanc qui descendait de la montagne et tout en boitant, "clip et clap", entrait dans un hameau pour y annoncer une mort. On décrivait, en riant beaucoup, les farces faites à l'un ou à l'autre. Ainsi se souvient Julie qui fut une adolescente gaie et dynamique : "avec Louise et Adèle, on revenait de veiller chez l'Antoine et voilà que près de la rivière - il faisait nuit noire - on entend des bruits de chaînes et des claquements de tissus. On a pris nos jambes à nos cous mais Adèle a été attrapée par deux grands bras cachés sous la toile... et je te secoue, lardi-lardo, je te lance en l'air et je te laisse tomber ... Brusquement il n'y avait plus rien. Adèle claquait des dents, elle tremblait. Il lui a fallu un bon moment pour pouvoir marcher. Nous autres on n'osait pas aller la chercher, on l'attendait au pignon de la première maison du village. C'était pas des revenants ! dit-elle, c'était les frères et les cousins qui s'étaient éclipsés pendant la soirée, sans qu'on les voie ... Après on en a ri, mais sur le moment ! ..."
Quand on se laissait aller à évoquer quelque fredaine - bien entendu toujours du temps passé - on s'arrêtait vite "à cause des enfants" qu'on envoyait alors se coucher. Après leur départ on était un peu plus libre, mais à coté de ce que l'on peut entendre aujourd'hui sur les ondes, les veilleurs restaient d'une rare pudibonderie.

 

Contes de veillées.

Dans les veillées s'entrelaçaient les fils du tissu social, Jean-Pierre le souligne : "dans la proximité des bêtes se mêlaient autrefois les générations et les familles, les filles et les gars qui, parfois, venaient d'un peu loin ... avec ou sans le marieur". On écoutait, s'initiant à l'art de la parole qu'on exerçait à son tour dès que l'on s'en sentait capable. On y apprenait l'amour des siens, celui du pays, ce bonheur de regarder les beautés de la nature, la nécessité d'en craindre les caprices et les dangers.
Les conteurs mettaient toujours l'accent sur la victoire que remportait le courage: "on racontait, disent en chœur Elise et Clémence, l'affaire d'un tailleur qui, rentrant un soir d'hiver de chez un client, tomba dans une fosse à loup qu'on venait de creuser entre les villages de Châtain et du Bon Martin. Un peu plus tard un loup tomba à son tour dans le piège. Alors le tailleur a passé la nuit à agiter ses ciseaux pour tenir le fauve à distance. Il parait que c'est vrai", affirment mes deux vieilles amies.
Des histoires de loups, il y en avait beaucoup, de celle de la bergère qui armée de son parapluie avait mis en fuite l'agresseur de sa brebis favorite, à celle de l'homme que le médecin avait emmené chercher des médicaments à Bugeat mais qui devait rentrer à pied : "A la sortie de la ville, dit Charles, la nuit était tombée, il se voit suivi par un loup. Chacun sait bien que, dans ce cas, il ne faut pas tomber : il marchait donc et marchait encore. Quand il entrait dans un village, le loup disparaissait mais il était là, après la dernière maison. Au moment de passer un petit pont, près de chez lui, le loup l'avait devancé et s'était mis en travers du chemin. Il a respiré un grand coup et s'est lancé, passant du côté de la queue ; sans se retourner il a pressé le pas ... ouf, il était à sa porte !"
Du loup animal au loup garou il n'y a qu'un pas, mais on le franchit rarement. François cependant évoque une aventure arrivée à son grand-père : "Jeune, avec un camarade, il avait voulu aller cueillir des pommes dans le pré d'un voisin, assez loin de "la Goutte" où il habitait. Au moment où ils longeaient un champ de seigle, ils virent un grand chien partir très vite et se faufiler entre les épis, sans faire de bruit. Sans demander leur reste les deux compères sont rentrés chez eux mais, au matin, ils sont revenus voir la trace de cette bête pour l'identifier : il n'y avait rien, le seigle était net !"
Jean-Pierre se souvient de ce qu'il a entendu dans son enfance: "Le diable, il a enlevé le Fernand qui n'a pas voulu se confesser" mais on ajoutait à mi-voix que le diable ne devait pas être loin ou bien qu'il avait des complices capables de passer par la cheminée".
"Aux Oussines, raconte Charles, un des oncles de ma mère avait fabriqué un revenant avec une tête d'âne et un grand drap. Il agitait une lanterne et un complice tapait sur un vieux bidon pour faire le "tracassou" à un vieux qui voulait épouser une jeunesse. Ils ont fait tant et si bien qu'ils l'en ont dégoûté et que la jeune a pu se marier avec son amoureux"…

 

Les histoires que l'on racontait aux veillées, avec force détails pittoresques et susceptibles de maintenir en haleine l'auditoire, avaient un côté effrayant mais donnaient toujours une leçon d'optimisme ou de bravoure.
On profitait, sans doute inconsciemment, de toutes les occasions pour délivrer ce message aux enfants : soyez réalistes et courageux, ne vous laissez pas abattre. En cas de danger, prenez votre chapelet, si vous voulez, mais surtout "remuez vos ciseaux" ou "brandissez votre parapluie". En fin de compte : "comptez sur vous-même".
Si vous laissez aller votre imagination , sachez qu'elle doit avoir des limites ; si vous avez le goût du rêve et de l'aventure, pensez à vous méfier des billevesées. Si vous aimez le rythme et la poésie ne vous y abandonnez pas. Mais si vous êtes courageux, le monde peut être à vous.
Tel me parait, au fil des récits que, si volontiers, font mes amis, l'enseignement donné aux enfants d'un pays rude dont les brumes auraient pu envahir l'âme et pousser aux songes. Tels me semblent les principes que les millevachois veulent inculquer, aujourd'hui encore, mais par d'autres moyens à leurs descendants.
Hommes et femmes évoquent toujours ces veillées de jadis avec un brin de nostalgie, sans doute, mais aussi avec un grand plaisir. Ils marquent - probablement inconsciemment - le lien qu'ils établissent entre maison et lumière, maison et chaleur, maison et foyer même si ces trois qualités étaient alors très limitées car il fallait épargner surtout : la chandelle, le pétrole et même le bois à l'époque rare en ce pays, aujourd'hui si boisé.
Est-ce parce que tout était précieux, que mes amis ont mémorisé la moindre des occasions où l'austérité se relâchait peu ou prou ? Est-ce parce que leur enfance était austère qu'ils ont si bien gardé le souvenir des fêtes illuminant une médiocre banalité ?
On chantait aussi beaucoup dans ces veillées, surtout des chansons de soldats ; selon Alice c'était des histoires de fiancées délaissées, oubliées et mourant de chagrin - souvenir du temps où les jeunes gens impécunieux remplaçaient, moyennant finances, ceux qui avaient tiré un mauvais numéro et où ils faisaient ainsi des années de service et de campagnes militaires. On ne se lassait pas des histoires de chasse et de pêche, les femmes les écoutaient patiemment, parfois pour la centième fois. A force d'être évoqué petit poisson devenait grand, voire très grand et l'affaire du saumon que, jadis, Marius ramassa dans la Vienne, parce qu'il avait été décapité par la roue d'un moulin, encore racontée -c'était le temps où des barrages n'empêchaient pas la remontée des salmonidés et où les bécards traînaillaient à l'automne avant d'aller prendre la mer. Au fil des ans, d'ailleurs, l'animal avait pris la taille d'un cétacé !


La fin des veillées.

Dans ces soirées hivernales on se réjouissait de tout son cœur. Ce n'est plus guère le cas ... on ne se réunit aujourd'hui que si l'on trouve un prétexte pour se rendre chez René ou chez Joséphine. Alors on retrouve le plaisir qu'autrefois on avait à être ensemble. La télévision dont le petit écran domine toutes les cuisines ne réussit alors pas à empêcher les bavardages. Tout en parlant on suit les images d'un oeil distrait qui s'éveille brusquement quand il y a un reportage sur la vie des plantes ou des animaux (dont on ne se lasse pas), ou bien quand il s'agit d'un film d'aventures. Pendant quelques minutes le silence s'installe, mais s'arrête dès la fin de l'émission car, le plus souvent, celle-ci donne lieu à commentaires.


On sait encore regarder, railler, se moquer, il y a encore des conteurs et des taquins mais, peu à peu, sans qu'elle s'en rende compte, la société villageoise est atteinte par le modèle qui se propage par les ondes, modèle qui est plus gourmé que plaisant, plus méprisant que joyeux. Sous l'influence de cette "culture" citadine brillante, superficielle, pédante qui ne donne de la vie et de ses désordres éventuels que des images reconstruites, et "mises en scène", que va devenir la mentalité rurale, populaire, rustique ? N'a-t-on pas assisté aux derniers moments de ce qui, pendant des millénaires, a permis aux hommes d'assumer les orages du monde et de se défouler avec truculence, peut être violence mais avec un grand naturel ?

Cependant après un certain nombre d'années de morosité, des associations se sont constituées : les "anciens du pays vert", "les amis de Bugeat", "la Société d'archéologie et d'histoire de Tarnac", etc ... qui organisent des rencontres, des promenades, des déjeuners, des thés ou des soirées dansantes qui rencontrent de plus en plus de succès.


Ces paysans que certains avaient décrits comme frustes, pauvres en mots, malhabiles dans leur expression, sont, en fait, susceptibles de décrire un paysage ou un événement avec des mots simples mais d'une manière très poétique :
"C'était en automne, raconte Baptiste, les chasseurs étaient dans le bois ... ils étaient dans leurs petites cabanes. Les pigeons arrivent (ce sont en réalité des palombes), tournoient et s'abattent sur les arbres ... les chênes étaient tout bleus. Je monte au sommet du bois, je m'adosse à un arbre, je ne bouge pas, je me fais arbre. Les oiseaux viennent tout près de moi. En quatre fois je tue neuf pigeons. Alors la neige commence à tomber par grands flocons, larges comme la main. La nuit tombe... le vétérinaire arrive comme une grande ombre avec sa casquette bleue d'étudiant ..."


Le conteur Jan Dau melhau a su captiver l'assistance en mêlant tour à tour des contes, des chants et de la musique traditionnelle.

Un grand merci à:
Photo et texte de:http://champjl.chez-alice.fr/contes/veillees.htm

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J’ai rêvé que l’amour ne mourrait jamais.
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